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histoire, littérature compte rendu

Enfants flamands de la répression: le domaine du sentiment

27 avril 2022 5 min. temps de lecture

L’historien Koen Aerts s’intéresse à un passé «qui ne passe pas» facilement et explore différentes facettes de la Seconde Guerre mondiale. En témoignent ses publications, dont son plus récent ouvrage traduit en français, Les Enfants de la répression. La Flandre en proie aux démons de la collaboration.

Koen Aerts est un historien déjà chevronné, reconnu par ses pairs et considéré comme un spécialiste de l’histoire de la répression. Sa thèse de doctorat à l’université de Gand a été publiée sous le titre Repressie zonder maat of einde? (Répression sans mesure ou fin?, 2014). En outre, il a été la cheville ouvrière de l’ouvrage collectif Was opa een nazi? (Grand-père était-il nazi?, 2017) et des séries diffusées sur la chaîne de télévision publique flamande Canvas et consacrées aux enfants de la collaboration, de la résistance et de l’holocauste.

La série Les Enfants de la collaboration a été diffusée sur la chaîne publique belge francophone RTBF à l’automne 2020. Aerts avait publié en 2018 aux éditions Polis Kinderen van de Repressie. Hoe Vlaanderen worstelt met de bestraffing van de collaboratie, dont la traduction française vient maintenant de sortir sous un titre quelque peu engagé (Les Enfants de la répression. La Flandre en proie aux démons de la collaboration). On remarquera combien la postérité thématique ouverte par l’ouvrage Les Enfants de la répression (1993) de Pierre Rigoulot (qui ne se penchait pourtant que sur les souvenirs et confidences d’enfants de ténors et «gros bonnets» de la collaboration française et wallonne) a été féconde, puisqu’on en est maintenant passé aux descendants des obscurs, des sans-grade et à un saut générationnel complet et qui s’étendra bientôt, si l’on n’y prend garde, aux arrière-petits-enfants de la collaboration».

Le phénomène s’étend comme une tache d’huile sur la mer non plus de l’Histoire avec un grand H, mais bien de celle des mentalités, du tant galvaudé processus mémoriel, de l’étude quasi psychologique d’un ressenti d’autant plus multiforme et donc d’autant moins facile à quantifier scientifiquement qu’on a voulu ratisser large et donner la parole, par une sorte de micro-trottoir rétrospectif, à un vaste corpus de témoins, dont, aux moments les plus chauds de la répression, certains n’étaient pas encore nés. La quatrième de couverture de l’édition française admet d’ailleurs qu’il s’agit d’une addition de récits hétéroclites. On est dans le domaine du sentiment, réel ou fantasmé rétrospectivement, et non de l’analyse de faits concrets, comme l’attestent aussi les témoignages d’enfants de déportés sur le retour de leurs proches (article très récent de Laurence van Ypersele dans la Revue belge d’histoire contemporaine) sans que l’on puisse être certain que les propos recueillis lors d’un entretien avec des adultes – très mûrs – de ce début de XXIe siècle correspondent très exactement à ce que des enfants ont pu ressentir en 1945…

L’ouvrage s’inscrit donc dans une continuité un peu redondante, d’autant plus qu’existaient déjà sur le même thème de très nombreux articles de périodiques et des mémoires de maîtrise, mais sa publication en français a l’immense avantage de fournir une sorte de catalogue à un lectorat soucieux de mieux comprendre les ressentiments, les frustrations, le sentiment d’injustices subies parce que Flamands, que vivent encore nombre d’habitants du nord de la Belgique. Avec honnêteté, le titre français spécifie bien que l’ouvrage ne traite que de la seule collaboration flamande.

Car c’est bien là que le livre de Koen Aerts, dont nous voulons bien reconnaître «le bilan globalement positif» au point de vue de la documentation historique ou mémorielle, met parfois mal à l’aise. En effet, les justiciables flamands n’ont pas, quelle que soit l’opinion ambiante alors ou maintenant, été soumis à l’application d’un code pénal ou de circulaires interprétatives autres que leurs waarde medeburgers (chers concitoyens) du sud du pays. Ce bilan aurait pu être plus positif si l’auteur avait recouru systématiquement à des éléments de comparaison, soit judiciaires, soit mémoriels, avec d’autres régions du pays. Sans remonter à des études devenues presque préhistoriques, comme les bilans statistiques du magistrat Gilissen, on peut regretter que les pistes comparatives bien débroussaillées par l’ouvrage collectif dirigé par José Gotovitch et Chantal Kesteloot (Het gewicht van het oorlogsverleden – Le Poids du passé de guerre, 2003) n’aient pas été empruntées, même de façon buissonnière.

Le livre est donc un immense recueil d’interviews de ces «enfants de la répression», qu’ils aient vécu l’arrestation et la détention d’un père ou qu’ils ne soient nés qu’après sa sortie de prison et aient dès lors témoigné moins d’un vécu que d’un ressenti issu d’un récit paternel ou maternel soit apologétique, soit confiné dans une omerta frileuse. Les références en appels de note sont maigres, en ce sens que la note ne contient souvent que la date de l’entretien, le nom de la personne interrogée et celui de l’intervieweur. Il n’y a pratiquement aucune remise en contexte, ni d’histoire des rivalités farouches entre ligues concurrentes, mais de longues litanies de noms qui nécessiteraient chez le lecteur francophone une connaissance déjà très approfondie des mouvements, des personnalités, de la gravité ou non des sanctions encourues pour des activités qui vont du minste kwaad (moindre mal) à l’engagement total. C’est dans le texte qu’on trouve de trop courtes identifications: «fils d’un bourgmestre de guerre», «fille d’un membre du Vlaamsch Nationaal Verbond connu»… Soumettre les propos –ou les rancunes– des interviewés à l’analyse d’un contexte parental et idéologique plus affiné eût été salutaire.

Nous nous en voudrions toutefois de rester sur ces remarques. L’ouvrage de Koen Aerts, comme les précédents et les émissions qu’il génère, est salutaire pour une meilleure connaissance d’un passé qui, au nord comme au sud de la Belgique, «ne passe» toujours qu’avec difficulté.

Koen Aerts, Les Enfants de la répression. La Flandre en proie aux démons de la collaboration (titre original: Kinderen van de Repressie. Hoe Vlaanderen worstelt met de bestraffing van de collaboratie), traduit du néerlandais par Émilie Syssau, Renaissance du livre, Waterloo, 2021.
Balace francis

Francis Balace

historien, professeur honoraire à l'université de Liège

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